CEJ 2018Elle consterne les scientifiques et les professionnels, elle reflète l’indécision coupable des politiques. Les semenciers français s’inquiètent.

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a donc pris une décision qui surprend car elle est contraire aux conclusions de l’avocat général. Les juges ont classé dans les OGM les techniques de sélection Génome Editing et Crispr (mutagénèse), avec tout ce que cela comporte de contraintes et de refus sociétaux. La décision bloque, au moins provisoirement, leurs applications en UE. Mais ce jugement ne pouvait tomber dans ce sens qu’à raison du manque de décisions des responsables politiques, qui ont peureusement évité des décisions qui auraient dû tomber depuis longtemps.

La Commission européenne avait conscience depuis des années qu’il y avait quelque chose de fondamentalement nouveau qui apparaissait dans la recherche biomoléculaire végétale, et qui ne cadrait plus avec la réglementation OGM dépassée. Dès 2007, il y a donc 11 ans, elle a créé la commission scientifique - Expert Working Group - sur les nouvelles techniques de sélection, commission qui lui a remis son rapport 4 ans plus tard, donc en 2015. Qu’est devenu ce rapport ? Mystère, il git depuis trois ans au fond d’un tiroir.

Ledit rapport a d’ailleurs été rapidement dépassé par CRISR Cas, qui permet des modifications précises dans certains gènes, technique qui ne figurait même pas encore dans le rapport de la commission des experts scientifiques.

Or cette technique est devenue standard dans la recherche végétale mondiale, et des projets se multiplient pour des centaines de végétaux connus. Il y a deux ans le Think Tank scientifique de la Commission (Science Advisory Mechanism) s’est préoccupé de ces techniques nouvelles. Une conférence en avril 2017 avec publication de son rapport n’a pas pu mettre non plus la discussion politique en route. Il fallait attendre, disait-on, la décision de la CJUE sur une plainte d’organisations françaises anti-OGM. Ne pas préjuger de la décision CJUE était l’excuse.

On a donc laissé aux juges européens le soin de décider du sort de ces acquis scientifique, à travers une interprétation purement juridique des textes existants, datant de l’époque ou le génie-génétique était neuf et où personne ne pouvait s’imaginer des technique précises comme le Génome Editing. La Commission, les Etats membres et le Parlement européen ont laissé le « bébé » aux juges, au lieu d’adapter enfin, les règles de droit, aux nouvelles connaissances scientifiques.

Il y a eu des initiatives pour modifier politiquement les règles OGM. En dernier lieu, par le gouvernement hollandais en 2017. Les Hollandais voulaient des critères clairs et vérifiables, selon lesquels des plantes « éditées » pourraient être exemptées de la règlementation OGM ; ce qui aurait été le cas pour l’introduction de gènes de la même espèce, ou des modifications de gènes sans la moindre trace dans la plante modifiée et ses produits. En clair, traiter les mutations par les nouvelles techniques comme des mutations naturelles, et celles obtenues par irradiation ou traitement chimique avec vérification tous les 5 ans des méthodes utilisées L’initiative s’est perdue dans les couloirs. Maintenant la politique ne pourra plus se cacher et laisser la décision aux seuls juristes.

Si ce jugement devait être le dernier mot, il n’y aurait pas d’avenir pour le Génome Edition en UE. Les sélectionneurs et l’agriculture ne pourront pas s’engager s’il n’y a pas d’adaptation politique de textes. Dans le monde, les USA, le Canada, l’Argentine, Israël et l’Australie avancent vite, en considérant que sans introduction d’un gène extérieur, les plantes modifiées peuvent être cultivés sans autre contrainte nouvelle.

Et l‘on en revient au problème sans solution d’un étiquetage et de la séparation qu’implique le jugement. Distinguer les produits des plantes éditées par rapport aux autres ? C’est tout simplement impossible à envisager car on aura à gérer des circulations et des importations que personne ne peut contrôler sur ce point, à moins d’une montagne de bureaucratie et de frais.
La décision des juges sonne à nouveau le réveil, car en réalité la CEJ vient de refuser de faire le boulot des politiques ! C’est clairement pour cela qu’elle n’a pas suivi son avocat général.

AM

 

De son côté le GNIS, (Groupement national interprofessionnel des semences et plants) considère que « l'arrêt de la CJUE concernant la mutagenèse risque de freiner la transition agro écologique de l'agriculture ».

Les semenciers français disent « prendre acte » de l'arrêt de la Cour européenne de Justice qui vient de préciser le statut juridique de la mutagenèse. A la lecture, de cet arrêt, les variétés, issues de techniques existant avant la directive 2001/18 (concernant la dissémination volontaire des organismes génétiquement modifiées) restent donc exclues du champ d'application de cette directive. Les variétés issues de techniques plus récentes et à venir ne sont pas interdites pour autant au niveau de l'Union Européenne, mais devraient donc se conformer aux procédures d'évaluation prévues par la directive.

Le Gnis va donc suivre avec beaucoup d’interet la décision du conseil d'Etat concernant l'application en droit français de l'arrêt de la CJUE. Dans la continuité du plan de filière "semences et plants" défini à la suite des Etats généraux de l'alimentation, il espère que la décision du Conseil d'Etat prendra en compte l'importance de ces techniques dans le processus d'innovation variétale dont la transition agro écologique a grand besoin.

[Rappel technique du GNIS. La mutagénèse, processus naturel amélioré par l'Homme, est un facteur participant à l’évolution des espèces et de la biodiversité. Largement utilisée dans la sélection des variétés végétales depuis plus de 60 ans, la mutagénèse est une des nombreuses méthodes à disposition des acteurs de l’amélioration variétale. Elle joue un rôle essentiel dans la capacité des acteurs de la filière semencière à s’engager pleinement dans la transition agro écologique.

Par exemple :

- Pour enrichir la diversité cultivée et les variétés locales : le riz Cigalon, issu de mutagénèse, est une des variétés qui a contribué à l’essor du fameux riz de Camargue,
- Pour diminuer l’utilisation des produits phytosanitaires : le blé Renan, issu de mutagénèse, est une variété largement utilisée pour sa résistance aux maladies, et notamment en agriculture biologique,
- Pour améliorer la qualité de notre alimentation : les colzas 00, issus de la mutagenèse, à faibles teneurs en glucosinolates et en acide érucique, produisent une huile meilleure pour la santé.]