encensAujourd’hui, les rois mages en route vers Bethléem devraient cheminer sous bonne garde, et mettre leur trésor en lieu sûr.

Car l’or vaut de l’or et de plus en plus en ces temps incertains, la myrrhe est rare car produite dans des zones difficiles, et que dire de l’encens dont les cours s’envolent depuis plusieurs mois ! Au point que cette demande a pour conséquences de mettre en danger les arbres dont la gomme est issue.

La somptuosité des cultes chrétiens ou bouddhistes n’est pas en cause et les volutes d’encens continueront de s’élever au pied des autels et à la porte des temples. C’est en fait la demande en aromathérapie qui bouleverse l’équilibre de ce marché, à destination des huiles essentielles et de la savonnerie.

On constate le phénomène surtout aux USA et en Europe. La demande devient géante pour une base de production réduite, selon Frans Bongers, chercheur de l’Université de Wageningen, spécialisé dans la recherche sur les arbres Boswellia, producteurs d’encens. Cette situation à des conséquences inquiétante sur les arbres, selon le chercheur, qui craint leur disparition dans quelques décennies.

L’encens est obtenu à partir des résines d’arbre de la famille des Boswellia, Boswellia sacra notamment, que l’on trouve surtout en Ethiopie et en Somalie, mais aussi au Soudan, en Oman, au Yémen et en Inde. Les arbres sont entaillés, et on récolte la résine gommeuse qui s’en écoule et dont on tire l’encens. 

L’experte Anjanette DeCarlo, qui conduit l’organisation « Save Frankincense » pour la protection des arbres, explique que ces arbres ont été jadis entaillés par des nomades. Ceux-ci se sont ensuite sédentarisés et l’augmentation de la population a pesé sur l’exploitation des arbres jusque dans des zones isolées. Depuis que les prix de l’encens ont augmenté, de plus en plus de gens récoltent de la résine, dans des régions où les autorités sont faibles et les contrôle quasi-inexistants.

La surexploitation a des conséquences désastreuses. Pour rester sains, les arbres ne devraient pas subir plus que 9 à 12 entailles, selon DeCarlo. Les arbres ne devraient être entaillés que quelques mois de l’année, et seulement deux années consécutives, pour leur laisser ensuite un an de régénération. Mais on rencontre des arbres qui peuvent subir plus de 100 entailles, sans jamais aucune année de pause.

Associée au changement du climat, cette situation est pour cette chercheuse « une véritable tempête qui finira en perte d’une ressource ». L’Union mondiale de protection de la nature avait estimé en 1998 que l’effectif des arbres Boswellia sacra n’était que peu en danger, mais c’était il y a déjà 22 ans et depuis il n’y a pas eu de nouvelle évaluation. Dans 20 ans et à ce rythme, la production naturelle d’encens sera divisée de moitié écrit de son côté le chercheur de Wageningen, Frans Bongers, dans sa dernière étude.

Au demeurant, le boom sur l’encens ne permet pas aux populations des récoltants de sortir de la pauvreté. Les arbres se situent en zone difficilement accessibles, et dans des zones en conflits politique et militaires quasi permanents.

Selon l’année et l’endroit, un récoltant de résine peut vendre 1kg de 3 à 6 $, prix au village, selon le chercheur Stephen Johnson, qui œuvre pour la création d’une chaine durable. Les intermédiaires gagnent le double. Le distillat passe à un prix entre 14 et 22 $/kg. Le petit flacon d’huiles essentielles atteint lui entre 104 et 430 $/kg selon les cas. La cocaïne ne fait pas mieux…

Les chercheurs ne demandent pas des interdits pour cette activité, car leur application nécessiterait une régulation difficile à maitriser dans ces pays. Ils encouragent pour le moment la volonté des producteurs d’encens de mieux contrôler leur chaine d’approvisionnement. Ils demandent d’autre part le lancement de plantations, même si les arbres adéquats sont longs à se développer, afin de diminuer la pression sur les arbres sauvages. Il existe déjà quelques plantations. Et au lieu d’exporter de la résine brute, il faudra selon eux, développer la production d’encens sur place. AM